L’IGEN et l’IGAENR (1) ont suivi, de novembre 2010 à janvier 2011, la mise en place de la réforme du LEGT dans 36 établissements publics de sept académies. Leurs observations ont porté sur quatre axes constitutifs des enjeux de la rénovation engagée : les enseignements d’exploration, l’accompagnement personnalisé, l’appropriation par les établissements des marges d’autonomie qui leur étaient octroyées et les modes de pilotage et de fonctionnement des établissements. Dans un rapport rendu public le 16 mars dernier, ils livrent leurs constats (2).

1 Les enseignements d’exploration

Ils visent, rappellent les auteurs, à « faire découvrir aux élèves des enseignements caractéristiques des séries qu’ils seront amenés à choisir à la fin de la seconde sans que leur suivi ne conditionne l’accès à un parcours particulier ».

1.1 L’offre des enseignements d’exploration (EE)

« Dans plus de quatre lycées sur cinq, les élèves se sont vu offrir un choix de plus de cinq EE » ; « quasiment tous les lycées » ont proposé des enseignements de SES (sciences économiques et sociales) et de MPS (méthodes et pratiques scientifiques) ; « la majorité d’entre eux » ont offert à leurs élèves la possibilité de suivre ceux de PFEG (principes fondamentaux de l’économie et de la gestion) et de LS (littérature et société) : tels sont les constats établis par les inspecteurs généraux.

Dans les lycées observés, l’offre d’EE a cherché à concilier la volonté d’offrir la palette la plus large possible et le souci de conforter l’identité de l’établissement. Conséquence de ce deuxième principe, certains ont eu avant tout le souci de « proposer une offre conforme à leurs spécialités et à leur image » et ont peu misé sur la mise en réseau à même d’assurer une meilleure complémentarité de leur offre.

1.2 Les choix des élèves

Les rapporteurs déplorent que « les élèves aient été informés trop tardivement et insuffisamment pour effectuer un choix rationnel ». En cause l’attitude des professeurs de collège « peu enclins à guider les élèves et les familles dans leur choix », mais aussi les informations mises à disposition par les établissements. En fait, « les choix [de ces enseignements] se sont effectués majoritairement en fonction du lien supposé avec la filière vers laquelle l’élève souhaite s’orienter. […] les goûts personnels semblent avoir peu présidé aux choix. La peur de l’inconnu – on repère ce que l’on croit déjà connaître plus ou moins – et surtout les ambitions en 1ère ont été les critères les plus déterminants. » Une situation qui tient à ce que les élèves voient les enseignements d’exploration comme des options préfigurant leurs choix d’orientation.

1.3 Le statut particulier des SES et PFEG

Proximité avec les anciennes options de détermination, cours qui se déroulent souvent en classe entière, recours fréquent à un enseignement magistral : autant d’éléments qui font que les SES et PFEG ont un statut différent de celui des autres EE, voire que les élèves les assimilent aux enseignements obligatoires du tronc commun.

1.4 Les enseignements d’exploration, « espaces de liberté » pour la liberté pédagogique
  • Certains professeurs ont investi les espaces de liberté que constituent les EE, en particulier ceux qui interviennent dans les nouveaux enseignements d’exploration. « Ils ont intégré une démarche de projet et saisi l’opportunité offerte pour donner goût aux élèves et travailler sur la motivation, l’orientation et les compétences […] Certains sont même allés jusqu’à inventer des enseignements d’exploration non répertoriés. »
  • D’autres, par contre, reconduisent les pratiques développées dans les enseignements traditionnels, ne tirent pas profit du CDI et utilisent peu les Tuic. Particulièrement visés, les professeurs de SES qui n’acceptent pas le statut d’enseignement d’exploration de leur discipline et reproduisent des pratiques traditionnelles reposant sur un programme sans se saisir des espaces pédagogiques où leur liberté peut s’exercer.
1.5 Et les élèves ?

Ils ont une perception floue de ces enseignements (assimilation à des options qui préfigurent les futurs choix d’orientation). Quant à l’appréciation qu’ils portent sur les EE, elle est fonction de la logique qui a présidé à leur choix.

  • Quand les élèves  ont perçu que les EE pouvaient les aider à définir un projet scolaire, ils expriment leur satisfaction.
  • « A l’inverse ceux qui ont fait leur choix dans une logique utilitaire » expriment leur scepticisme. « Ils regrettent souvent l’absence de pratique, le fait qu’il y ait trop de théories, et qu’ils ne sont appelés à faire que des exposés. Ils déplorent l’absence d’approfondissement des matières suivies [et dénoncent] une perte de temps. Ils se plaignent également de n’être pas assez encadrés et de devoir rechercher de l’information sans être aidés. »
1.6 Les enseignements d’exploration et …
  • … l’évaluation : l’évaluation des EE suscite de nombreuses questions de la part des enseignants et la confusion est fréquente entre évaluation et notation, en particulier chez les enseignants de SES où « la notation classique semble majoritaire ». «  La question est [aussi] évoquée sous l’angle de l’orientation. Quel sera l’apport des EE dans les demandes des élèves et dans les décisions des conseils de classe ? De fait, les EE seront-ils pris en compte d’une façon ou d’une autre dans les procédures d’orientation […]. » Quant aux élèves, leurs avis sont partagés : certains défendent les vertus de la notation (stimulation, attentes des parents …), d’autres plaident pour la grille de compétences …
  • … la construction des compétences : Conséquence du caractère très hétérogène de l’évaluation, l’approche par les compétences peine à s’installer.
  • … la découverte des métiers : « la découverte des métiers en lien avec les EE pose problème […] »
  • … l’interdisciplinarité : Les EE sont propices aux approches interdisciplinaires. Les inspecteurs généraux distinguent plusieurs cas de figure : du projet pluridisciplinaire où chaque discipline apporte ses méthodes et contenu aux enseignements mono-disciplinaires, via la juxtaposition d’approches disciplinaires sans lien entre elles.
1.7 Des recommandations

Pour les inspecteurs généraux, il convient pour conforter l’évolution en cours :

  • de veiller à l’information sur les finalités et les contenus des EE auprès des chefs d’établissement, des professeurs principaux et des élèves de 3ème selon des modalités diverses,
  • de favoriser la mise en réseaux en vue d’une meilleure complémentarité de l’offre des établissements,
  • d’expliciter le rôle des EE dans l’orientation en fin de seconde …

2 L’accompagnement personnalisé

2.1 La prise en compte des besoins des élèves

L’accompagnement personnalisé (AP) doit répondre aux besoins des élèves, rappellent les inspecteurs généraux. Encore faut-il les repérer. Or dénonce le rapport, « la question du diagnostic des besoins des élèves est mal résolue pour l’instant. […] La prise en compte du livret de compétences du collège est encore inexistante et les tentatives de fiches transmises par les collèges n’ont pas abouti dans les lycées qui l’ont tentée. » Des expériences intéressantes ont toutefois été mises en place : ainsi des entretiens individuels en début d’année

2.2 L’accompagnement personnalisé et la méthodologie

Certaines « séquences fléchées méthodologie » peuvent être porteuses tant pour l’évolution des pratiques enseignantes que pour la formation des élèves. Il s’agit de celles « où l’enseignant fait travailler les élèves sur des compétences transversales (expression orale, argumentation) à partir de contenus disciplinaires qu’il maîtrise ». A l’inverse, celles où contenu et approche disciplinaire  sont déconnectées (orientation, organisation de son travail) sont improductives. « Les professeurs peuvent (et doivent), insistent les auteurs, s’appuyer sur leur discipline (ce qu’ils connaissent le mieux) pour faire émerger les approches méthodologiques qui manquent à certains élèves. A eux de faire émerger, pendant et après le travail mené, la nature transdisciplinaire de ces approches et de la rendre explicite auprès des élèves. »

2.3 Des dérives

Les rapporteurs pointent un certain nombre de dérives : études surveillées, aide aux devoirs, récupération d’un temps d’enseignement disciplinaire

2.4 Le point de vue des élèves

Les élèves expriment souvent une déception : l’AP ne répond pas à leurs besoins.

3 Les professeurs et la réforme du lycée

3.1 Des hésitations, de la perplexité, du désarroi

Les inspecteurs généraux l’ont constaté, la réforme a suscité hésitations, tâtonnements, perplexité et parfois désarroi. Explications avancées :

  • les transformations induites dans les pratiques pédagogiques par la réforme touchent l’identité professionnelle des enseignants de lycée marquée avant tout par la discipline qu’ils enseignent ;
  • l’absence, pour certaines des dispositifs innovants comme l’AP, de contenus prédéfinis : « L’absence de contenus prédéfinis déstabilise fortement les enseignants et l’on s’aperçoit que la liberté pédagogique si souvent revendiquée et mise en avant, a bien du mal à se réaliser. […] D’une façon générale, les enseignants s’interrogent sur la conformité de ce qu’ils tentent de faire, un petit nombre seulement  (parmi les plus innovateurs) commence à se poser la question de l’efficacité et pas de la conformité. »
  • le fait que les dispositifs innovants – EE et AP – implique personnalisation, centration sur l’activité des élèves  et leurs apprentissages, mise en activité réelle, travail sur les erreurs,  différenciation : autant de pratiques qui ne sont pas encore familières aux enseignants de lycée davantage centrés sur les programmes ou les examens que sur l’élève.
3.2 Opposants, sceptiques, innovateurs

Les inspecteurs généraux identifient trois groupes d’enseignants.

  • Les opposants à la réforme : hostiles à la diminution des heures de cours, ils campent sur « la défense du territoire » et « pensent que les élèves doivent s’adapter au lycée et à son modèle dominant et que la reforme se limite à des activités occupationnelles ».
  • Les sceptiques : « ils adhèrent à la réforme, montrent un désir d’avancer mais restent perplexes sur les nouveaux modes d’enseignement », en particulier l’AP.
  • Les innovateurs : souvent familiers du travail en équipe et de la pédagogie de projet, ils font preuve de créativité. Ils connaissent aussi le doute et sont demandeurs d’accompagnement.
3.3 Une affaire de posture

La posture des enseignants est déterminante, notent les inspecteurs généraux.

  • Pour ce qui est des EE, les enseignants doivent « faire partager une passion, ouvrir les fenêtres, éveiller des curiosités ». Cela « suppose que les élèves soient actifs et en recherche, qu’ils produisent. Le dosage est alors savant entre le niveau d’exigence du contenu et l’adaptation aux élèves tels qu’ils sont ».
  • Dans l’accompagnement personnalisé, c’est l’attention aux démarches de l’élève, à son cheminement qui doit être première et non le « résultat final » ou la « bonne réponse ».
3.4 Des recommandations pour faciliter les transformations des pratiques pédagogiques des enseignants

Ce sont les enseignants et eux seuls qui inventeront les méthodes pédagogiques à même de faire réussir leurs élèves. Pour les inspecteurs généraux, ils convient de les accompagner dans ces transformations, via des actions de formation. Celles-ci, explicitent-ils, doivent …

  • … « leur permettre d’exercer pleinement leur liberté pédagogique en se libérant des ancrages traditionnels,
  • … aller vers des approches pluridisciplinaires sans pour autant abandonner leur compétence et leur identité première,
  • … développer des outils permettant de diagnostiquer les besoins des élèves et de développer leurs compétences,
  • … discerner et comprendre les démarches d’apprentissage des élèves,
  • … mettre en place des dispositifs en réponse aux besoins des élèves,
  • … sortir des éternels débats particulièrement vains qui opposent compétences et connaissances ou discipline ou méthodologie.»

Les transformations en cours dans le  domaine pédagogique  sont fragiles, soulignent les inspecteurs. Elle « touchent le cœur  du métier de professeur de lycée, on ne peut donc pas attendre qu’elles se réalisent pleinement en un temps court. L’essoufflement peut arriver très vite si l’on n’y prend pas garde. En particulier, le cantonnement des évolutions professionnelles aux nouveaux dispositifs (EE et AP) sans irrigation des pratiques dans le reste des cours peut conduire à ce que notre système a déjà bien connu : des innovations liées à la nouveauté de dispositifs, qui disparaissent assez vite au fil du temps. Les risques d’essoufflement sont nombreux : sentiment de contradiction entre l’adaptation aux besoins des élèves et la pression des programmes et des examens ; choix difficiles concernant les réductions de moyens qui seront mal acceptées ; fatigue des équipes d’innovateurs sur qui reposent souvent de multiples tâches. »

4 Les établissements scolaires : quelle utilisation de leur marge d’autonomie ?

Qu’il s’agisse de l’organisation du temps, de l’espace ou des moyens, la réforme attribue aux lycées une réelle marge d’autonomie : « [Ils] ont eu en effet la possibilité de construire une utilisation des moyens et des ressources humaines, une organisation du temps et des groupes qui correspond à leur projet et à leurs caractéristiques. »

4.1 Le groupe classe

Deux cas de figure se présentent : certains établissements ont opté, via une organisation en barrettes, pour la constitution de groupes d’élèves pour des séquences, ces groupes n’étant ni le groupe classe ni les demi groupes traditionnels d’élèves de la même classe. D’autres ont maintenu le groupe classe pour les nouvelles activités que sont les EE et l’AP ou encore l’enseignement des LV.

Quant à la constitution des classes, elle a souvent été faite en fonction du choix des EE, ce qui a conduit à « colorer les classes en fonction de profils, voire à conduire des irréversibilités ».

4.2 Les emplois du temps et l’espace

Leur construction a été complexe et elle le sera sans doute plus encore du fait de la montée en charge de la réforme au cycle terminal ou encore des difficultés qui vont naître de l’utilisation des locaux et des équipements (« La configuration des locaux de nos lycées n’est plus adaptée à une organisation qui va être de plus en plus variable dans le temps et marquée par la multiplication des groupes. »)

C’est sans doute, estiment les inspecteurs généraux, dans l’organisation annuelle du temps que se situent les innovations les plus porteuses d’avenir

4.3 Le rôle déterminant du mode de pilotage de l’établissement

Les chefs d’établissements – et au-delà l’équipe de direction – leur mode de pilotage de l’établissement ont eu un rôle déterminant dans la mise en œuvre de la réforme. Et pourtant, la tâche n’était simple. Il a fallu en effet s’approprier les nouveaux dispositifs (EE, AP principalement), maîtriser la complexité induite par la réforme dans l’organisation des services des enseignants et des emplois du temps des élèves, rallier les personnels, les élèves et les familles, et ce, dans « un délai très rapide ».

Quand les chefs d’établissement…

…ont su communiquer – auprès des enseignants bien sûr mais aussi auprès des élèves et de leurs parents – sur les enjeux des nouveaux dispositifs,

…ont eu le souci de rassurer les professeurs sur les impacts de la réforme sur leurs pratiques pédagogiques,

…ont mis en place des instances de concertation et de dialogue, des lieux de réflexion partagée, de propositions et d’échanges,

…quand ils ont su faire émerger des projets pédagogiques de qualité autour de la classe de seconde,

les équipes des lycées se sont emparés de la réforme.

4.4 Le nécessaire accompagnement des chefs d’établissement.

Les chefs d’établissement, comme les enseignants, ont besoin d’être accompagnés, via des actions de formation, soulignent les inspecteurs généraux. Ils explicitent les points sur lesquels portent leurs besoins de formation :

  • développer des compétences d’organisation du temps et de l’espace,
  • savoir communiquer et mettre du sens dans toutes les décisions,
  • tenir des points d’équilibre délicats entre des contraintes objectives et des avancées nécessaires.

Véronique Glineur


1. Respectivement inspection générale de l’Éducation nationale et inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche.
2. IGEN et IGAENR, Mise en œuvre de la réforme des lycées d’enseignement général et technologique, Février 2011. Accéder au rapport