Les français ont-ils un problème « congénital » avec les langues étrangères ? C’est en tout cas la réputation qu’on leur prête, admet le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) en ouverture d’une synthèse rendue publique jeudi 11 avril sur l’enseignement des langues vivantes. Reste que le tableau doit être nuancé, comme l’a rappelé Nathalie Mons, la présidente du Cnesco. Ainsi, la part des élèves en difficulté pour comprendre un texte écrit en langue étrangère, censé être adapté aux exigences scolaires de leur niveau, baisse de manière encourageante depuis le début des années 2000, tant à l’école primaire qu’au collège. L’expression écrite laisse à désirer et les jeunes français rencontrent toujours de réelles difficultés pour s’exprimer et se faire comprendre en langue étrangère.

Les raisons qui font que les élèves français réussissent moins bien que leurs homologues européens sont « multidimensionnelles ».

Elles résident d’abord dans un contexte sociétal peu porteur pour l’étude des langues étrangères et dans le rapport complexe, non pas aux langues étrangères, mais à leur propre langue. « Unifiée par la langue (française) comme beaucoup d’États-nations, mais déniant longtemps toute reconnaissance aux langues régionales, les combattant farouchement dans son École, la France s’est frontalement opposée dans sa construction nationale au développement d’une identité plurilingue, là où d’autres pays accueillaient favorablement leur multilinguisme originel comme la Suisse ou encore la Belgique », avance Nathalie Mons. Cette « défense arc-boutée » de la langue française a impacté l’enseignement des langues dans le système scolaire. Celui-ci n’est ainsi réellement entré à l’école primaire qu’au début des années 2000, et est resté très instable jusqu’à récemment. Et ce, alors même que les recherches montrent que l’apprentissage d’une langue étrangère est d’autant plus efficace qu’il débute précocement dès le primaire, « quand l’oreille des jeunes enfants peut encore discriminer et apprendre de sons nouveaux ».

En cause aussi, la prégnance de la « culture du stylo rouge » qui conduit les enseignants porteurs d’un, « une vision ultra-normée et idéalisée de la langue qui n’accepte pas la réalité de ses variations, notamment en termes d’accent », à corriger systématiquement les élèves. Ces pratiques, contreproductives en particulier à l’adolescence, peuvent « déstabiliser les élèves qui ne s’autorisent plus à parler, imaginant une langue pure, parfaite avec un accent parfait qui n’existe pas », insiste l’universitaire qui plaide pour « donner la possibilité aux jeunes de s’exprimer davantage, avec des formations au débat renouvelées, dans des cours aux effectifs adaptés ».

Progressivité des apprentissages, du primaire à la fin du lycée, évaluation tournée vers un « droit à l’erreur » et les compétences réelles des élèves, augmentation de l’exposition des élèves aux langues, meilleur accompagnement des enseignants : c’est autour de ces quatre axes que s’organisent les recommandations du jury de la conférence de consensus présidé par Brigitte Gruson qui rejoignent les « propositions pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères », remises en septembre 2018 par l’inspectrice générale de l’Éducation nationale Chantal Manes et le journaliste Alex Taylor à Jean-Michel Blanquer.

Au nombre des préconisations avancées par le Cnesco, l’idée de se concentrer sur la musicalité des langues « le plus tôt possible », c’est-à-dire dès la maternelle, ou encore la nécessité, appuyée sur la recherche, de « réorganiser le temps scolaire dédié aux langues afin d’augmenter la régularités des cours de langues »fractionner ». Le jury plaide aussi pour que soit renforcée l’exposition des élèves aux langues étrangères via l’enseignement dans une autre langue d’une discipline non linguistique et le développement des dispositifs bi-langues, des sections internationales et européennes pour peu que ceux-ci « soient ouverts à tous les élèves ». Il prône en outre une évaluation plus bienveillante qui prenne « en compte l’anxiété liée à l’apprentissage d’une langue étrangère » et la reconnaissance d’un « droit à l’erreur ». Il invite également à encourager les séjours à l’étranger, pour les élèves comme pour les enseignants. Dans le champ didactique, le Cnesco milite pour redonner toute sa place à un enseignement explicite, avec, par exemple, des temps d’entraînements systématiques et de répétitions. Côté recrutement des enseignants, il recommande le rétablissement, dans les concours des premier et second degrés, d’une « option langues ».