Le député UMP du Bas-Rhin, Frédéric Reiss, a été chargé par le Premier ministre d’une mission visant à « examiner la fonction et le statut d’un directeur d’école, le statut des écoles de grande taille et des regroupements d’écoles ainsi que la possibilité de mise en œuvre du socle commun ». Dans son rapport remis en septembre 2010 il liste des constats et avance un certain nombre de préconisations.

 

Frédéric Reiss situe son rapport (de 196 pages) dans un cadre à la fois sociologique (évolutions et judiciarisation de la société), pédagogique (attentes, exigences, interpellations fortes), et économique (maîtrise des dépenses publiques).

En titrant son avant-propos : « le problème : une performance qui plafonne, seuls 60% des élèves quittent l’école primaire avec tous les atouts en main pour réussir », Frédéric Reiss considère que les ambitions de la loi du 23 avril 2005, créant le socle commun de connaissances et de compétences, pour chaque élève, ne sont pas totalement réalisées. Certaines mesures (stages de remise à niveau pendant les vacances, accompagnement éducatif dans les écoles de l’éducation prioritaire) apparaissent comme des desseins favorables. Toutefois deux obstacles demeurent : la création des établissements publics d’enseignement primaire et les conditions de recrutement, de formation et d’exercice des fonctions spécifiques des directeurs d’école maternelle et élémentaire.

1 Les constats

L’évolution ne connaît aucune interruption et chaque année un nombre considérable (40%) d’élèves rejoignent le collège sans fortune d’y réussir. Frédéric Reiss développe ces observations en se fondant sur trois constats :

1.1 « Des résultats très préoccupants pour la société »

Malgré un personnel (enseignant et non enseignant) conséquent (325 277 personnes), une dépense d’éducation de 37,8 milliards d’euros (en 2008 pour le premier degré), l’efficacité est jugée insuffisante en fin de primaire (25% des enfants présentent des acquis fragiles, 15% supplémentaires « des difficultés sévères ou très sévères ».

Les enquêtes Pisa confirment cette situation, montrant même une nette tendance à la dégradation des résultats des élèves français. Les enquêtes Pirls (évaluation des performances en lecture vers 9 ans) fournissent des observations identiques. L’analyse des résultats scolaires corrélée aux origines sociales, apporte une « vision sombre ». Et l’augmentation de l’effort financier n’apporte aucune amélioration.

Où se trouvent les responsabilités de ce revers ? Les cycles d’enseignement (loi d’orientation de 1989) n’ont pas été réellement mis en œuvre et des redoublements subsistent, décision souvent « arbitraire ». L’exécution tardive du socle commun de connaissances et de compétences institue une autre raison de l’échec. Cette conjoncture engendre des conséquences graves et produit des défaveurs : accès aux diplômes, accès à l’emploi. Elle éloigne des objectifs de la « stratégie Europe 2020 » de l’Union européenne.

1.2 « Une communauté éducative pas assez soudée »

Rappelant les obligations des communes « d’entretenir au moins une école primaire élémentaire », des dispositions législatives entre l’Etat et les collectivités territoriales, l’auteur du rapport insiste sur le « lien séculaire d’une commune avec son école, l’un des fondements de la République ». La diversité des écoles (on lira avec intérêt le tableau 8 page 32 qui présente le nombre d’école selon le nombre de classes en 2009-2010 secteur public et privé) est pour certains un « handicap » supplémentaire. « Nombres de communes ne disposent pas forcément de tous les moyens administratifs et logistiques qui leur permettraient d’assumer les ambitions scolaires auxquelles elles prétendraient pourtant volontiers ». L’intercommunalité aggrave dans quelques endroits les disparités de « pilotage et de dialogue ». Des dysfonctionnements surgissent alors, générateurs de conflits.

Les relations entre l’école et les parents sont souvent confuses : les enseignants jugent les parents « envahissants », les parents considèrent les enseignants « inaccessibles ». La judiciarisation de la société institue une inclination fâcheuse qui entraîne les parents à entreprendre des recours devant le tribunal administratif. Composition des familles, distances entre résidences et écoles, accentuent les exigences des parents tout en les rendant moins disponibles.

Aller vers une communauté plus soudée nécessite de « donner du sens à l’action de terrain des écoles », à formaliser le dialogue.

Quittant l’école, l’élève connaît une vraie rupture à l’entrée au collège, et le système éducatif ne favorise pas ce passage. Ce décalage dispose d’une existence matérielle dans la partition des crédits, dans la répartition des compétences entre commune, et Conseil Général. La Cour des Comptes confirment ce point.

Frédéric Reiss conclut en disant que « l’on peut d’ores et déjà avancer que deux principaux obstacles à un développement de ces partenariats découlent de l’incapacité juridique de l’école à contractualiser, dans la mesure où elle n’a pas la personnalité morale, et à celle de son directeur de s’engager au nom de l’Etat ».

1.3 « Le hiatus entre la lettre et la pratique des fonctions de direction »

Le décret n° 89-122 du 24 février 1989 définit les fonctions de directeur d’école. Ampleur, hétérogénéité des tâches, déterminent une responsabilité qui ne peut s’exercer dans sa totalité. Le directeur n’est pas seul à fixer le service des enseignants ; il ne dispose que peu de compétences budgétaires (l’école étant juridiquement un service de la commune ou de l’intercommunalité).

Vocations pédagogique, relationnelle (avec les parents, ma commune et autres collectivités territoriales, avec les collèges…), administrative, caractérisent-elles une fonction de direction ? La restriction tangible des responsabilités n’amène pas une réponse positive. Un malaise existe et rend la fonction peu attractive. « La liste des motifs d’insatisfaction des directeurs d’école français, comme de l’OCDE, comprend plus largement les éléments suivants : accumulation de tâches, urgence,absence de vision sur les priorités, manque de reconnaissance, manque de moyens, surabondance de travail administratif, obligation excessive de disponibilité, impact sur la vie de famille, stress.. ».

A l’issue de ces constants l’auteur du rapport propose huit recommandations pour contribuer à la réussite des élèves. Ces huit recommandations sont précédées par un « principe fondateur : pas de réponse universelle mais une forte adaptation au terrain ».

La grande diversité des écoles, des communes, des divers environnements, la décentralisation et la déconcentration, proscrivent un « régime identique ». La collaboration des trois acteurs que sont les équipes éducatives, les élus et fonctionnaires locaux, les parents d’élèves, s’inscrit comme un facteur de progrès en se fondant sur une méthode : l’expérimentation.

2 Des recommandations

2.1 « Revoir l’organisation territoriale du service public de l’éducation notamment en facilitant les regroupements d’écoles »

La question posée est : « comment organiser la délivrance d’un enseignement public de qualité pour la population des plus petites communes ? ».

Dans les 5000 écoles qui ne comptent qu’une classe, l’émulation, le travail en équipe des enseignants, certaines activités, l’accès à divers équipements semblent bien douteux. Une taille « critique » engendre des conséquences financières, de gestion des ressources humaines, de direction. A ces désavantages le ministère doit répondre par la création de réseaux pédagogiques intercommunaux (RPI): ils étaient 4879 à la rentrée 2009 dont 3676 dits « dispersés ». Aucune évaluation n’a été opérée pour mesurer le lien entre présence d’un réseau et résultats des élèves. Les RPI ne sont reconnus par la loi que depuis 2009, avec la garantie de parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association. Il n’existe aucune définition légale ou réglementaire de ces structures. Un statut unifié des regroupements d’écoles s’avère indispensable. Il convient aussi de dépasser le concept « pédagogique ». On s’orienterait alors vers des « regroupements scolaires » (RS) qui concerneraient soit une même commune, soit plusieurs communes. Leur création reposerait sur une « convention entre l’autorité académique, la ou les communes concernées ou, le cas échéant, la ou les intercommunalités, après avis du Conseil Départemental de l’Education nationale ». Cette convention serait signée pour 3 à 5 ans. Elle se fondrait sur un projet éducatif commun.

Dans ces RS les enseignants seraient nommés, non plus dans une école du regroupement mais dans le regroupement lui-même. Il y aurait un seul directeur pour le regroupement. De même, un seul conseil d’école (« conseil de regroupement »), un conseil des maîtres de cycle, unique, seraient installés.

Cette évolution permettrait d’actualiser les dispositions législatives en vigueur concernant les obligations communales (Loi Guizot de 1833). L’auteur préconise une nouvelle définition des écoles : « Les écoles sont des établissements scolaires d’enseignement primaire. Elles peuvent être des écoles maternelles, des écoles élémentaires ou, quand elles délivrent à la fois un enseignement préélémentaire et un enseignement élémentaire, des écoles primaires. Les écoles peuvent être communales ou intercommunales à classes réunies ou dispersées ». Cette transformation serait de nature à simplifier la gestion des communes.

Les écoles doivent travailler en « réseaux » (locaux, nationaux, européens), méthode nécessaire au progrès des performances du système éducatif.

2.2 « Laisser expérimenter les établissements publics du primaire »

Le concept qui soutient cette recommandation est celui d’autonomie. Si l’EPEP fait l’objet de crispation et de rejet, ne pourrait-on pas désigner ces établissements publics expérimentaux « E2P établissements publics du primaire ? »

L’expérimentation doit reposer sur quelques principes : alléger les conditions de recours à l’expérimentation ; disposer d’une taille minimale (14 classes) ; labelliser les expérimentations et non les acteurs ; adopter une démarche « du bas vers le haut » ; disposer de moyens spécifiques, ; conduire une évaluation par un opérateur indépendant.

Huit modalités sont à expérimenter :

  • échanges de services (langues, tableau interactif) ;
  • contrat éducatif (les E2P sont un terrain privilégié pour sa mise en œuvre) ;
  • direction pédagogique (les directeurs se voient attribuer des prérogatives élargies en matière de recrutement, de gestion…) ;
  • structure administrative : intercommunalité- commune- Etat ( le directeur d’école est soutenu par une structure administrative relevant de la commune ou de l’intercommunalité) ;
  • budget (l’E2P dispose d’un budget d’intervention) ;
  • présidence du conseil d’administration (le directeur pourrait être libéré de la présidence) ;
  • composition du conseil d’administration (le directeur serait membre de droit avec voix délibérative. Les autres membres 1/3 enseignants, 1/3 parents, 1/3 élus) ;
  • concertation (débat sur le projet d’école, présentation annuelle des résultats de manière anonyme).

Une vigilance essentielle devra être exercée quant au financement de ces E2P (bilan-coût-avantages).

2.3 « Placer le contrat éducatif au centre du pilotage de proximité. »

C’est à partir d’un diagnostic que le projet d’école s’élabore, un projet progressif, qui exige une évaluation. Ce projet doit progresser vers un contrat éducatif adopté par le conseil d’école dont l’assise est le projet pédagogique. Ce contrat éducatif intéresse l’enfant dans sa globalité.

Il implique :

  • l’enseignement (il repose sur le projet pédagogique adopté en conseil des maîtres),
  • la coordination et le dialogue (avec les collectivités territoriales par exemple pour l’accompagnement éducatif),
  • la concertation et la négociation (concertation pour le projet pédagogique, négociation pour le contrat éducatif),
  • (du conseil d’administration ou du conseil d’école),
  • le contrôle et l’évaluation.

Le directeur exerce un rôle primordial dans l’élaboration et l’exécution du contrat éducatif. Le soutien des autorités académiques est nécessaire et a valeur de valorisation.

2.4 « S’appuyer sur des leaders pédagogiques, les directeurs d’école »

La fonction première du directeur est d’assumer la charge de leader pédagogique, activité aux tâches multiples, aux responsabilités diverses.

Or son statut actuel le situe uniquement dans un poste managérial. A l’avenir il devrait pouvoir intervenir dans l’affectation des enseignants dans les différentes classes (après discussion en conseil de maîtres), émettre des vœux sur le profil des enseignants avant d’être affectés dans les écoles qu’ils dirigent, recruter certains personnels comme les AVS, disposer de marges supplémentaires pour la formation continue (pour eux-mêmes et leurs adjoints), être le représentant de l’Etat dans l’école, prendre des décisions exécutoires rapides. Parallèlement plusieurs prérogatives devraient évoluer : obligations en matière de concertation, négociation ou décision. Le partage de la direction est aussi une orientation à envisager : décharge partagée, délégation.

La fonction de directeur doit devenir une « mission », « un métier à part entière ». Un tel processus appelle des révisions importantes concernant le référentiel métier, le recrutement, la possibilité « d’aller-retour » entre direction et enseignement, la formation tout au long de la carrière, la revalorisation de la rémunération indemnitaire, une évaluation professionnelle mieux adaptée aux conditions d’exercice, une lettre de mission délivrée par l’autorité académique, un nouveau statut (détachement dans le corps des personnels de direction ou dans un emploi fonctionnel).

Les futurs « directeurs d’école » disposeraient d’une décharge plafonnée à 75% (quelle que soit la taille de l’école), calculée sur la base de l’année scolaire (et non plus la semaine). Dans le même temps les seuils de décharge seraient modifiés. Un regroupement d’école ne disposerait que d’un seul directeur.

Ces dispositions doivent s’accompagner d’une réduction des tâches administratives, d’une mutualisation des ressources.

2.5 « Créer un observatoire des bonnes pratiques »

L’analyse selon laquelle « si l’on divise par deux le nombre d’élèves de la classe mais que le cours continue à être mauvais, les élèves ne feront aucun progrès, et on aura juste gaspillé de l’argent public », induit la gravité de la formation des enseignants. Un « observatoire des bonnes pratiques » pourrait apporter des expériences, des outils en matière d’innovation, d’expérimentation. La «mallette des parents » (en vue d’améliorer le dialogue entre école et parents), le programme « Clair » (recherche de l’innovation et pratique de l’expérimentation dans des établissements « sensibles »), diverses études, travaux en France et à l’étranger, pourraient être recueillis par l’observatoire des bonnes pratiques.

2.6 « S’engager sans tarder dans la perspective de futures écoles du socle commun »

L’école du socle commun est une réalité dans de nombreux pays étrangers. Le livret personnel de compétences constitue un pont entre l’école et le collège. Mais il est rarement franchi. L’auteur porte un jugement sévère : « les échanges de service sont une exception et non une règle. En l’état actuel de la réglementation, on oserait écrire : ‘‘une aberration et non une normalité’’, puisque la normalité qu’organisent les textes, c’est la séparation ».

Faut-il changer la réglementation ? Faut-il modifier les mentalités ? Faut-il un projet de loi ? Faut-il affiner le cahier des charges pour se diriger vers une école du socle commun ?

2.7 « Conclure un pacte éducatif entre service de l’Etat et collectivités »

Une synergie plus intense est inéluctable entre les communes, l’intercommunalité et l’Etat. Le contrat éducatif devrait faciliter la concertation, la coordination, le dialogue, en suscitant une démarche de partenariat à partir du développement de projets, de la mise en cohérence des programmations, du partage d’une vision commune de l’école. Cette action demande une réflexion, une transparence sur les dépenses obligatoires des communes.

2.8 « Améliorer le poste de pilotage en recentrant les Inspecteurs de l’Education Nationale sur leur cœur de métier »

Le pilotage de proximité de l’enseignement primaire revendique une amélioration indispensable. En effet nombreux sont les acteurs et les observations qui déplorent que les autorités académiques se substituent trop souvent aux écoles dans leurs fonction d’exécution. Les attributions des Inspecteurs de l’Education nationale reproduisent à l’excès celles des directeurs. L’Inspecteur de l’Education Nationale a un rôle d’inspection, de pilotage de l’expertise pédagogique.

Claude Marchal


Observations personnelles

En titrant Quelle direction pour l’école du XXIè siècle ?, Frédéric Reiss ambitionne d’examiner à la fois le statut du directeur d’école et son office.

Quelques interrogations surgissent promptement : ce rapport répond-il à une revendication catégorielle, celle des directeurs d’école ? Les constats exprimés dans la première partie induisent-ils une relation de cause à effet : quelles sont les imputabilités respectives des communes, de l’intercommunalité, de l’Etat, des directeurs d’école dans l’échec de 40% des élèves à la fin du primaire ? Les leviers d’évolution proposés dans les huit recommandations sont-ils crédibles ? « La crédibilité est l’une des qualités nécessaires au roman » disait Maurois. Ce rapport se veut-il roman ou emprunt ? Retenons, en effet, trois références (parmi une multitude possible).

  • Relativement à l’autonomie, le Collège de France dans son rapport Propositions pour l’enseignement de l’avenir (1985 La Documentation française), estimait que « l’enseignement devrait dépasser l’opposition entre le libéralisme et l’étatisme en créant les conditions d’une émulation réelle entre les institutions autonomes et diversifiées, tout en protégeant les individus et les institutions les plus défavorisées contre la ségrégation scolaire pouvant résulter d’une concurrence sauvage ».
  • Dans son rapport au ministre de l’Education nationale (1987) Education et société demain. A la recherche des vraies questions, Jacques Lesourne spécifiait : « Mais une méthode adéquate et des orientations judicieuses ne feront évoluer l’institution que si l’effort porte sur les relations entre l’école et l’extérieur. Comme l’a dit Bertrand Schwartz sous une forme lapidaire, pour que l’école change, il faut que l’environnement change ».
    Au chapitre 19 de ce rapport : « A la recherche d’une stratégie de changement », Jacques Lesourne estimait : « un soin particulier doit être apporté à la mise en place de chefs d’établissement capables d’être les animateurs indiscutés de la collectivité des enseignants. Du maître-directeur au proviseur, leur sélection, leur formation, leur évaluation, doit faire l’objet d’une attention soutenue. Il faut se souvenir qu’ils exercent un métier différent de celui d’enseignant et que sans eux une politique d’autonomie ne peut réussir ».
  • Enfin Claude Allègre dans son ouvrage Toute vérité est bonne à dire (2000) citant un de ses interlocuteurs, disait : « Dans une réforme, il faut toujours qu’il y ait une transgression ».

Ce rapport, relatant essentiellement des observations « clichés négatifs », illustre un conservatisme historique sans offrir de réelles opportunités de progrès. Aucune remarque n’est faite sur les rythmes scolaires, sur la scolarité sans doublement… L’Etat, les collectivités territoriales, les inspecteurs de l’Education nationale sont dévoilés comme des « contre-maîtres » d’une entreprise éducative étouffée par des lois, une réglementation inapplicable et inappliquée.

Quelle direction ? A l’issue de la lecture de ce rapport nous la cherchons toujours !!!

Claude Marchal


1. Quel avenir pour l’école du XXè siècle ? Frédéric Reiss, septembre 2010. Lire le rapport