En décembre dernier, le ministère de l’Éducation nationale rassemblait ses forces vives pour deux journées sur l’évaluation des élèves. Chacun s’interrogeait sur le devenir des notes. Allait-on les remplacer par des smileys, par des flèches qui montent et/ou descendent ? Il fallait rassurer les conservateurs tout en contentant les progressistes, les pédagogues diraient certains ! Aux débats succédèrent des échanges. On entendit Antoine Prost, Jean-Marc Monteil, etc. Bref, la refondation lancée par Vincent Peillon en 2012 continuait d’animer les esprits de celles et ceux qui participèrent à la concertation juillet-août 2012 ! Nous étions sauvés !
Mais depuis lors, deux ministres se sont succédé, se réclamant du même Peillon. Et derrière le chantier de l’évaluation, des enjeux sociétaux sont bien calés en embuscade. Ce n’est pas l’envie qui manque d’inventer une classe sans note ! C’est le courage qui fait défaut. Ce ne sont pas les moyens qui manquent d’évaluer autrement ! C’est l’absence de volonté d’en finir avec un système qui ordonne, classe, trie et rejette des élèves, les admet, les compare, les félicite. Ah, bien entendu, les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on. Ce ne sont pas ceux qui émergent et sortent du lot qui remettront le principe en cause ! Qu’attend-on pour mettre en place une évaluation du type de celle que préconise André Antibi, l’évaluation par contrat de confiance (EPCC) ? Le nouveau socle s’y prête bien avec ses compétences attendues en fin de cycles 2, 3 et 4. L’EPCC établit un lien fort entre la note sur 20 – dont on ne peut certes faire abstraction – et l’évaluation par compétences. Mais quel sens donner à un 10/20 dans une discipline ? Simple moyenne, acquisition de connaissances ou maîtrise d’une pratique à 50 % ?
Dans Le tsunami numérique[i], Emmanuel Davidenkoff regrettait que nous continuions de nous satisfaire de ce système dont il est communément admis qu’il est dépassé, générateur de mal-être et d’exclusion. Mais la pérennité du business model est à ce prix, conclut-il ! En annonçant que la nouvelle version du socle constitue une réelle avancée, en se félicitant des avis exprimés lors des journées sur l’évaluation et des recommandations de la conférence, en se réclamant des travaux du Conseil supérieur des programmes, la ministre a laissé entendre qu’elle entendait faire changer l’École. Si changement il y a, on peut redouter aujourd’hui qu’il ne soit qu’à la marge… Une société qui classe ses élèves en ne repérant très objectivement que ses élites gagne du temps et de l’argent ! Ensuite, il « ne » lui reste plus qu’à les faire prospérer et à les conduire vers d’autres succès. Mais que deviennent les autres ? Ceux que la « machine » a écartés parce qu’il y avait meilleurs qu’eux, ou encore ceux qui, au nombre de 150 000, n’ont rien « en poche » en sortant de l’École ?
À ne rien changer, notre système éducatif fera longtemps encore les beaux jours de Pisa[ii] !
Didier RETOURNÉ
Secrétaire du Bureau
[i] 1. Le Tsunami numérique, Emmanuel Davidenkoff, Éditions Stock (collection « Essais-Documents »), mars 2014.
[ii] 2. Programme international pour le suivi des acquis des élèves.