Comment fabrique-t-on un glaçon ? On prend de l’eau à l’état liquide, on la contraint dans un moule puis on la congèle. Dès lors, l’eau à l’état solide est docile. Elle ne se déforme pas, elle ne s’étend pas en tous sens, contrairement au liquide, qui prend un malin plaisir à épouser les rebords des obstacles, avant de finir par les contourner. Il en va des états de l’eau comme de ceux du monde et de l’éducation.

En 2000, le sociologue Zygmunt Bauman a défini le concept de « modernité liquide », qui caractérise les relations mouvantes et incertaines des individus et des organisations d’aujourd’hui. En effet, le libéralisme économique et la fulgurance des progrès liés aux technologies de l’information ont créé un monde global, où les hommes et les structures s’adaptent avec la souplesse d’un liquide, au gré des contraintes qu’ils subissent ou pour atteindre les objectifs qu’ils se fixent. Un monde qui s’éloigne toujours plus de la « rigidité solide » de la morale et des institutions, qui avaient construit et bien rangé, voire congelé, le monde d’hier.

Pour l’individu, cette « modernité liquide » peut se révéler un terrain favorable à son épanouissement, pour peu qu’il soit suffisamment autonome, au sens de « libre et responsable ». Dans le cas contraire, perdu et angoissé, il s’épuise, il souffre, comme le décrit Alain Ehrenberg dans son ouvrage La fatigue d’être soi. Dépression et société.

Plus que jamais, il est donc important d’apprendre aux jeunes à devenir des êtres doués d’autonomie, en commençant naturellement par les rendre autonomes dans leurs apprentissages. On célèbre cette idée dans tous les textes d’accompagnement et tout bon inspecteur vous dira que les enseignants ne laissent pas assez de place aux élèves, dans la construction des savoirs et des compétences. Par ailleurs, au-delà de l’intérêt pour chacun, l’école fait aussi le lien entre « autonomie cognitive » et « autonomie citoyenne ». Il s’agit donc d’un enjeu majeur pour la société française.

Pour relever ce défi, on imagine que les établissements scolaires vont se voir eux aussi dotés d’une belle autonomie. Car comment favoriser la croissance de l’autonomie chez les jeunes, si ce n’est en mettant en place des stratégies pédagogiques différenciées, correspondant à la multitude de leurs profils, en proposant des palettes variées de formations, en relation avec leurs diverses appétences, en pilotant différemment des établissements inscrits dans des territoires hétérogènes ?

Dans un premier temps, la réforme des obligations réglementaires de service et celle du collège ont laissé penser qu’une brise d’autonomie allait décongeler « le mammouth ». Hélas, après le constat pauvre sur les missions particulières, non financées et rigidifiées pour rassurer les syndicats, après le blocage idéologique sur les vingt-six heures d’enseignement en collège et le diktat de la carte des langues, force est de constater que l’éducation nationale en est encore à remplir des bacs à glaçons. Ne nous laissons pas congeler.

Vivien Joby, Troisième Vice-Président